Notre salon Arletty: dès le début des années 1930, Arletty est devenue une figure érotique, ce dont témoigne ce portrait de Moïse Kisling, datant de 1933. Crédits : © Moïse Kisling / ADAGP, Paris 2012 / Photo © Studio Monique Bernaz, Genève.

vendredi 10 mai 2013

Robert Ganzo : « Entre fleuve et pierre »


Le Matricule des anges sur Robert Ganzo :
Revue n° 037
(Décembre 2001-février 2002).

« J'ai connu l'homme tardivement, peu d'années avant sa mort, mais à quatre-vingt-quinze ans, il restait d'une vitalité et d'une présence étonnante, aux gestes vifs, à l'attention jamais démentie. L'écriture était ferme. Il continuait à fumer la pipe, travaillait encore à un futur poème. Il ressemblait un peu, par la densité, à ces pierres qu'il ramassait dans les forêts et dont il était convaincu qu'elles évoquaient des têtes humaines ou figuraient des profils qu'il identifiait. Des deux placards, dans son appartement proche du Trocadéro, l'un recelait ses livres les plus précieux, tandis que l'autre, fermé à clef comme un trésor, contenait sa collection de pierres choisies pour leurs formes insolites, anthropomorphiques ou pour leurs dessins gravés par les millénaires et dont il aimait traduire le graphisme sur une feuille qu'il vous donnait en partant. Face à ce monde lithique, il y avait en lui, préservé jusqu'au dernier souffle, cet émerveillement de l'enfant qui reste le secret du poète ».
Franck Venaille.

Poète et résistant, Robert Ganzo (1898-1995) fut un continuateur conséquent du courant Mallarmé-Valéry. Ami des peintres et des poètes, il fut frappé de fièvre lithique et, passionné par la préhistoire, devint aussi celui des pierres.
Robert Ganzo incarnait ce paradoxe d'avoir été danseur à Bruxelles -il publiera en 1930 Du dancing ou le danseur sentimental- avant de devenir bouquiniste puis libraire à Paris, rue de Vaugirard, d'être né à Caracas, en 1898, mais d'être poète français, de se vouloir peintre à ses heures. "Je suis un peintre préhistorique" aimait-il dire et d'avoir fini par délaisser la poésie pour remonter précisément vers la préhistoire dont il se fit le théoricien rebelle... Comme si, après avoir descendu le fleuve Orénoque dans l'un de ses plus beaux poèmes, il en avait remonté le cours jusqu'aux sources les plus secrètes de l'humanité. Mais, après tout, la danse peut être une poésie en mouvement et la préhistoire une face cachée de la poésie : celle-ci pour lui était une rêverie qu'il tentait, au grand dam des spécialistes, d'arrimer dans une cale qu'il voulait théorique sans en renier la poésie.
Peut-être est-ce cette diversité de talents, toujours mal vue en France, qui l'empêcha d'accéder à une plus vaste audience : Robert Ganzo, poète, aura frôlé le renom sans jamais connaître le véritable succès et ce malgré une très longue existence de quatre-vingt-dix-sept ans.
S'il ne fut pas célèbre, Ganzo ne fut pas ignoré. Ses pairs le reconnurent. Si Valéry s'inquiétait un peu de ce titre d'Orénoque que Ganzo donna à l'un de ses recueils, il ne lui ménagea ni son estime ni son attention. Léon-Paul Fargue préfacera dès 1938 ses Sept chansons pour Agnès Capri où le poète renoue avec la tradition de la chanson populaire au même moment que Desnos et Prévert.

Comment ne pas rappeler au passage que Ganzo fut un des poètes dont les républicains espagnols récitaient les strophes ci-dessous :
TRACTS, Ed. Jean Aubier 1947

"Mais c'est si loin Shanghai/ et c'est si loin Madrid/ que ce grand cri vous ne puissiez l'entendre" (Aux égarés).

De même qu'en ces années, ce qui deviendra le poème Tubize est récité, en France, dans les usines en grève :

"Dans cette usine ça sent l'éther/ et dans l'éther peinent les filles."

Certes ces quelques titres n'auraient pas suffi à faire de Robert Ganzo un poète de haut rang, ce qu'il est indubitablement. Entre 1937 et 1954, paraît l'essentiel de son œuvre poétique : un maigre volume (une centaine de pages) mais d'un superbe éclat et d'une rare densité. Œuvre en deux temps qui naît avec Orénoque (1937), se poursuit avec Lespugue (1940), Rivière (1941), Domaine (1942) et reprend après-guerre avec Langage (1947), Colère (1951) et Résurgences (1954) qui marque en quelque sorte son éloignement de la poésie.

En plus d'un sens, Robert Ganzo est l'un des très rares continuateurs authentiques du courant Mallarmé-Valéry, mais en plus cosmique et mêlant superbement ellipses et correspondances le classicisme et la modernité. Lespugue qui paraît l'année où Lascaux est découvert, est sans doute le premier grand poème inspiré par la préhistoire, rencontre ou remontée vers la femme première, à la fois humaine et cosmique :

"Ta chair immense que j'étreins/ riait et pleurait dans ma moelle, / et je trouve, au fond de tes reins/ la chute sans fin d'une étoile."

Robert Ganzo en 1917
Don de Mme Catherine Henri Ménassé.

Lire l’article en entier :
Le matricule des anges

1 commentaire:

  1. Manuel bonjour
    de nouveau vous avez coupé mon e mail
    pourquoi !!
    vous pouvez me répondre de la même façon
    tout en laissant la source
    à laquelle si besoin
    pour vous répondre je peux me référer.
    Plaisir quand même votre mise en scène
    du poète Robert Ganzo sur votre blog, Manuel
    les extraits choisis sont pour moi des plus
    attachants, on y perçoit "le bonhomme".
    Dans un premier temps
    légèrement courbé, grand, marchant
    le long d'une vieille sente en bord de Seine
    à la recherche du caillou qui saura en ce petit matin
    rappelé à sa mémoire les rives de son enfance, du fleuve
    l'Orénoque, au cour tumultueux, aux chutes dangereuses et bancs d' « alluves » parsemés en minéraux précieux mais aussi chargé de boue, de celle qui colle et que l'on peut à grand peine effacer.
    Puis c'est à l'Usine qu'il arpente, le temps d’une grève, le sort de petits le révolte, il est concerné, la vie d'un poète étant loin d'être une fête au jour le jour, il faut aussi chercher, provoquer, se battre, hurler, danser pour vivre, tenter à se faire connaître loin des compromissions ;
    Et pour finir votre préférence
    de nous rappeler que bien que grand poète il eut plaisir et talent à composer des chansons, là j'ai à l'oreille votre voix, entendue dans une voiture, vous y fredonniez "Suicide".
    Vraiment très sympa, merci.

    RépondreSupprimer