Notre salon Arletty: dès le début des années 1930, Arletty est devenue une figure érotique, ce dont témoigne ce portrait de Moïse Kisling, datant de 1933. Crédits : © Moïse Kisling / ADAGP, Paris 2012 / Photo © Studio Monique Bernaz, Genève.

mardi 19 novembre 2013

Joe


Terrain abandonné prés d’une voie ferrée.
Crépuscule.
Joe entre. Il porte un pantin rembourré qui fait à peu prés la moitié de sa taille, vêtu d’une veste aux couleurs vives, d’un pantalon gris sombre, d’une chemise blanche, d’une cravate rayée et de chaussures marron. Ses vêtements suggèrent un uniforme scolaire.

JOE. Tard. Noir bientôt. Ici c’était les potagers avant. Pour ça les petites cabanes. Elles s’écroulent. Ils disent quelles sont hantées. Araignées dedans. Pointe le doigt. Voie ferrée.
Pleure pas. J’aurais pas du t’amener avec moi aujourd’hui. Je t’ai amené parce que tu pleurais.
Maintenant tu pleurs encore plus. Tu as peur ? Tu n’aimes pas le noir. Ça ira pour cette nuit. Tu as faim ?  Je t’apporterais des bonbons demain matin. Quels bonbons je dois t’apporter ?
Mon gouter sera froid. Maman me fera la guerre. Elle attend pour sortir. Si tu pouvais marcher on rentrerait ensemble.  Je te lâcherais devant la porte de chez toi. Resterais dehors dans la rue. Les entendrais dedans t’engueuler d’être en retard. On en rirait demain matin. Ça c’était ma veste avant. Te l’ai passé quand j’ai trop grandi pour la mettre. Je mets toujours mes affaires dans les poches. Cachète secrète. Pleurs pas.
- maintenant il va pleurer encore plus. Quels bonbons tu veux ? Je les achèterai avec l’argent des clopes de maman. Dirai je l’ai perdu. Elle ne me croira pas. Je m’en fiche.
Pourquoi je te traine partout ? Tu me causes des ennuis. Pas allé en classe aujourd’hui à cause de toi
Maman ne veut plus de toi dans la maison. Elle t’enverrait à la vente de charité. « C’est là que tu l’as gagné à la tombola. Ramène-le. Tires-en un peu d’argent » ou te jetterait à la poubelle quand je suis en classe. Tu me fixes des yeux. Si tu étais réel on se disputerait. Ça serait fini ! Je te dirai barre-toi ! Je dois même parler à ta place. Parfois je m’entends parler et crois que c’est toi. Quelqu’un m’écouterait là il penserait que je suis fou. Faut qu’on arrête ! Je suis trop vieux pour toi ! Tu n’es rien ! Un pantin rembourré !
C’est pas ma faute si t’es pas réel. C’est mieux pour toi comme ça. Pas d’examens. Pas de commissions « range tout ça. Je ne vais pas nettoyer ta chambre ! »
Quels bonbons tu veux ? Je ne sais même pas ceux que tu préfères. Je te donne les miens. Je pensais juste que c’était ceux-là.
Sans lever les yeux. Quand il commence à faire noir le ciel est sale. Rayé. Oublié de se laver la figure.
...

Extrait de « Les enfants » et « Onze débardeurs »
Collection Scène ouverte
Éditeur : L’Arche

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