Notre salon Arletty: dès le début des années 1930, Arletty est devenue une figure érotique, ce dont témoigne ce portrait de Moïse Kisling, datant de 1933. Crédits : © Moïse Kisling / ADAGP, Paris 2012 / Photo © Studio Monique Bernaz, Genève.

samedi 13 septembre 2014

Au seuil jauni de l'automne

Bien Chère Maria, voila que je suis heureux de te lire.
Ton courrier me plait colorié qu’il est de poules, de brebis, de Mirco chien ; le tout baignant dans le clapotement  et l’odeur des confitures. Il ya ici comme la succulence précieuse du rire et de la bonne entente.
La cuisine est profanée de centaines et de centaines de bocaux éblouissants.
De lys bleus et orangés ; les reflets du soleil.
Dans le verre.
Enfin, concernant les pépinières tableaux,
Leur support est-il  vierge ou peint ?
Puis :
Il y a la nudité des labours,
De terres brunes
Dans des matins laiteux
Et ces secondes imaginées à chercher des dieux
Un dieu
Une présence,
Un compagnon.

Je sais des pierres
Au fond du grand jardin
Abandonnées par lui
Et qui chantent au matin
Soûles de rosées.

Moi, seul
En cet endroit là
Je frotte l’autre joue et mon cou
A leurs langues âpres et arides.

Tout mon être se ramasse ici,
Avec l’âme
Au seuil de l’automne
Jaunissant ;
Accumulant déjà des sanglots
De buis.

Enfin,
Frissonnant ;
Dans mes mains,
Et  tout contre
Ma bouche
J’y ai reposé mon propre souffle
Et son odeur de pierres.

Je t’embrasse Maria,
Fort amicalement.
Prends soin de toi.
Manuel.

mardi 2 septembre 2014

Je laissai la moitié de ma viande

... Je laissai la moitié de ma viande et m’employai à observer mon interlocutrice.  C’était une femme fascinante. Elle avait des yeux immenses, gris, en amande, d’un éclat aquatique, comme les clartés de la nuit. En essayant de les décrire, tous les lieux communs littéraires me venaient à l’esprit. Son expression était empreinte d’une puissante ironie qui semblait sourdre des régions les plus profondes de la mémoire, ou de la lumière des étoiles ; peut-être était-ce la preuve que ces deux choses ne font qu’une. Je n’avais jamais vu s’incarner le pouvoir de l’intelligence et la beauté, la cruauté est garantie.  Mais je n’étais pas pour autant disposé à me laisser impressionner, et j’essayais de surpasser ma timidité par des pensées sceptiques : « nous verrons  les conneries qu’elle dit quand elle ouvrira la bouche », ou bien « voici des airs de femme habituée à fréquenter des hommes plus âgés qu’elle ».

Elle soutint mon regard, sans se départir de son sourire à peine ébauché.
...

Phrixos le fou
Miquel de Palol 
Aux éditions ZULMA
22,50€ Diffusion Seuil.