Madeleine. – Je
ne mourrai pas
(temps) tu le sais ?
Jeune femme (mouvement
de la tête, elle sait). - Oui
Madeleine. - Si moi
je mourrais, tout le monde mourrait, alors… ça n’existe pas…
Jeune femme. - C’est vrai.
Madeleine. - Ce ne
serait pas possible que tout le monde…
tout le monde…
Silence. Et puis égarement.
Jeune femme. - Non, ce ne serait pas possible
Madeleine. - Non
Temps.
Jeune femme (la
regarde, éperdue).-
Votre voix est devenue indécise, assourdie.
Madeleine.- ça arrive, ça arrive, je l’entends.
Jeune femme (douceur).-
Vous ne comprenez plus que très peu de ce qu’on vous dit.
Madeleine.- oui, très peu de ce qu’on dit. (Temps). Quelques fois rien.
Jeune femme (lent).-
vous êtes effrayante…
Madeleine.- effrayante…
Jeune femme.- Oui.
Madeleine.- Sans doute. Je n’ai plus peur de la mort. (Temps). Cela doit faire une différence.
Silence.
Jeune femme (douceur).- Un certain jour, un certain soir, je
vous laisserai pour toujours (elle montre la salle). Je fermerai la porte, là (geste), et ce sera fini. Je vous
embrasserai les mains. Je fermerai la porte. Ce sera fini.
Silence. La Jeune Femme le fait, elle
embrasse les mains de madeleine qui se laisse faire. La jeune femme cesse d’embrasser madeleine,
elle la regarde.
Madeleine (effroi).- quelqu’un
viendra chaque soir pour voir… Et pour allumer les lampes… ?
Jeune femme.- Oui. (Temps).
Et un jour il n’y aura plus de lumière. Ce ne sera plus la peine qu’il y ait de
la lumière.
Silence.
Madeleine.- Oui. C’est ça. On écoutera. La respiration aura
cessé.
Silence. Madeleine regarde la Jeune Femme.
Madeleine.- Et toi, où seras-tu ?
Jeune femme.- Partie. Différente pour toujours. Mondaine. Pour
toujours sans vous.
…
Savannah Bay (Extrait)
Une œuvre de Marguerite Duras.
Les éditions de minuit.
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