Notre salon Arletty: dès le début des années 1930, Arletty est devenue une figure érotique, ce dont témoigne ce portrait de Moïse Kisling, datant de 1933. Crédits : © Moïse Kisling / ADAGP, Paris 2012 / Photo © Studio Monique Bernaz, Genève.

jeudi 6 décembre 2012

Espitre


[Epître à mes amis]
Aiez pictié, aiez pictié de moy,
A tout le moins, s'i vous plaist, mes amis !
En fosse giz, (non pas sous houx ne may),
En cest exil ouquel je suis transmis
Par Fortune, comme Dieu l'a permis.
Filles amans jeunes gens et nouveaulx,
Danceurs, saulteurs, faisans les piez de veaux,
Vifs comme dards, agus comme aguillon,
Gousiers tintant clair comme gastaveaux,
Le lesserez là, le povre Villon ?


Chantres chantant à plaisance, sans loy,
Galans riant, plaisants en faiz et diz,
Coureux alans francs de faulx or, d'aloy,
Gens d'esperit, un petit étourdiz,
Trop demourez, car il meurt entandiz.
Faiseurs de laiz, de motés et rondeaux,
Quand mort sera, vous lui ferez chaudeaux !
Où gist, il n'entre n’escler ne tourbillon :
De murs espoix on lui a fait bandeaux.
Le lesserez là, le povre Villon ?


Venez le voir en ce piteux arroy,
Nobles hommes, francs de quart et de dix,
Qui ne tenez d'empereur ne de roi,
Mais seulement de Dieu de paradiz ;
Jeûner lui faut dimenches et merdiz,
Dont les dents a plus longues que ratteaux ;
Après pain sec, non pas après gasteaux,
En ses boyaux verse eaue à gros boullon ;
Bas en terre, table n'a ne tresteaux.
Le lesserez là, le povre Villon ?


Princes nommez, anciens, joulvenciaulx,
lmpetrez moy grâces et royaux sceaux,
Et me montez en quelque corbillon.
Ainsi le font, l'un à l'autre, pourceaux,
Car, où l'un brait, ils fuyent à monceaux.
Le lesserez là, le povre Villon ?
François Villon (1431 ?)


« Villon joue avec une langue qui n’est plus la nôtre, déformant les noms des personnes, des lieux, multipliant les double sens, les clés de lecture. Ca semble souvent drôle, méchant et sacrément bien troussé. L’appareil de notes s’avère utile (selon l’édition, l’orthographe peut également être plus ou moins modernisée).
J’ai retenu cette épître car Villon y évoque avec beaucoup d’ironie le triste sort qui fut le sien. Malgré l’outrance de l’appel à l’aide qui peut et qui doit faire sourire, malgré les attaques perfides auxquelles Villon se livre contre ses amis, contre ses ennemis, on devine dans ces vers le portrait sans pudeur d’une époque qui ne fut certainement pas tendre avec ses misérables.
Villon fut, peut être malgré lui, le représentant de cette foule d’anonymes crevant de faim et de froid. C’est sans doute tout aussi naïf que d’en faire une canaille héroïque, maltraitant les convenances et les institutions mais qu’importe...c’est l’image que je veux garder de mon « pauvre» Villon... »



Heinrich Schütz (1585-1672) : Motet « Sept paroles de la croix »
Musopen (Musique libre de droit)

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