ACTE PREMIER
SCENE 1
ARMANDE, HENRIETTE
ARMANDE
Quoi ? Le beau nom de fille est un titre, ma sœur,
Dont vous voulez quitter la charmante douceur,
Et de vous marier vous osez faire fête ?
Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête ?
HENRIETTE
Oui, ma sœur.
ARMANDE
Ah ! Ce « oui » se peut-il supporter,
Et sans un mal de cœur saurait-on l’écouter ?
HENRIETTE
Qu’a donc le mariage en soi qui vous oblige,
Ma sœur… ?
ARMANDE
Ah, mon dieu ! fi !
HENRIETTE
Comment ?
ARMANDE
Ah, fi ! vous dis-je.
Ne concevez-vous point ce que, dès qu’on l’entend,
Un tel mot à l’esprit offre de dégoûtant ?
De quelle étrange image on est par lui blessé ?
Sur quelle sale vue il traine la pensée ?
N’en frissonnez-vous point ? et pouvez vous, ma sœur,
Aux suites de ce mot résoudre votre cœur ?
HENRIETTE
Les suites de ce mot, quand je les envisage,
Me font voir un mari, des enfants, un ménage ;
Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,
Qui blesse la pensée et fasse frissonner.
ARMANDE
De tels attachements, ô Ciel ! sont pour vous
plaire ?
HENRIETTE
Et qu’est-ce qu’à mon âge on a de mieux à faire
Que d’attacher a soi, par le titre d’époux,
Un homme qui vous aime et soit aimé de vous,
Et de cette union, de tendresse suivie,
Se faire des douceurs d’une innocente vie ?
Ce nœud, bien assorti, n’a-t-il pas des appas ?
Molière (1622-1673)
Les femmes savantes
Editions Librio
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